Reflexions sur la pratique

Publié le par JF

Après le kihin (marche méditative),  pendant pour tout dire, j'ai pensé à Montaigne : " Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors ; voire et quand je me promène solitairement en un beau verger, si mes pensées se sont entretenues des occurrences étrangères quelque partie du temps, quelque autre partie je les ramène à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude et à moi. Nature a maternellement observé cela, que les actions qu'elle nous a enjointes pour notre besoin nous fussent aussi voluptueuses, et nous y convie non seulement par la raison, mais aussi par l'appétit : c'est injustice de corrompre ses règles."

Exercice de pure présence, le plus difficile sans doute. Car, souvent, je me braque sur le résultat final, le but. Cheminer vers la sagesse est une chose. L'attendre fébrilement pour être enfin dans la joie en est une autre. Pourquoi ne pas prendre plaisir dans l'exercice même ? Aristote montre que le modéré devient modéré lorsqu'il pratique cette vertu par plaisir et il tombe sous le sens que nul sacrifice, aucun renoncement triste, ne conduit à la joie. À mes yeux, la libération doit toujours être joyeuse.

 

Le grec distingue le telos du skopos, la fin du but. Tel un archer, je peux pratiquer des exercices. Ma fin ! Bien tirer. Mon but ? Atteindre la cible. Je conditionne trop la valeur de l'instant au but, lointain. D'ailleurs, garder à l'esprit que toucher la cible ne dépend pas tout à fait de moi. Par contre, il est en mon pouvoir de me donner pleinement à l'exercice, de bien exécuter. Puiser la joie et le plaisir dans la pratique même, voilà qui m'aide à me détacher, ici et maintenant, du dénouement. Un yogi, me souffle une amie, racontait qu'il pratiquait ces exercices comme on se brosse les dents. Pour que l'ascèse me façonne, me modèle et me purifie, elle doit, évidemment, s'ancrer en moi et devenir habitude.

Quitter les résultats, les objectifs, les attentes, afin de se reposer dans le réel sans trop le travestir, voilà l'exercice. Épictète disait déjà que ce n'est pas la réalité qui nous trouble, mais l'opinion qu'on s'en fait. Un quart d'heure de kihin suffit à montrer à quel point je vis dans mon monde. Désirs, craintes, préjugés, projections m'emportent sans cesse. Mais je commence tout de même à mettre un peu en doute le cinéma intérieur dans lequel je me complais. Quel travail pour décoller une à une les étiquettes apposées sur le réel ! Progresser revient ici à se délester. À nouveau, il n'y a rien à ajouter, juste enlever ce qui empêche d'être et d'aimer. 

Résumons : quand ça va mal, comme dans la joie d'ailleurs, retourner au présent, y puiser mille  sources, quitter la rêverie permanente qui m'arrache du monde et me plonge si souvent dans l'insatisfaction.

 

Alexandre Jollien (le Philosophe Nu)

 

JFL

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